GIVORS PORT FLUVIAL
Auteur : Julien PAGE
Editeur André Martel 45, rue de Belfort, à Givors - 1950
Orné de 217 dessins de Claude Bordet

LES MULETIERS
Plus de 800 ouvriers étaient occupés dans les mines de Rive-de-Gier où il existait 22 puits. Comment conduisait-on ce charbon au port d'embarquement afin qu'il ne s'accumulât pas alors que la disette menaçait les régions voisines ? Le transport se faisait à dos de mulets ou par voitures. Mais le chemin qui suivait le Gier, et le traversait souvent à gué plus d'une trentaine de fois, était difficile et mal entretenu. Pourtant plus de 1.200 mulets effectuaient journellement ce trajet.
Quelle animation dans cette vallée, aux relais intermédiaires et dans la ville même, lorsque ces mulets attachés à la queue leu-leu arrivaient sur la Place, par la rue des Etables, au nom bien évocateur (actuellement rue Marie-Mas), pour s'engager dans la Grande-rue du Port, rue des magasins et des entrepôts de charbon. Que de cris ! que de jurons ! Il fallait nourrir bêtes et conducteurs. Excellent débouché pour les vins et autres denrées : foin, son, avoine !

Une colonne de mules dans la vallée du Gier

Ces muletiers étaient de rudes hommes « infiniment plus turbulents, plus farouches, plus insoumis que les ouvriers mineurs ». Les concessionnaires les trouvèrent souvent sur leur chemin, hostiles et menaçants. Accoutumés à charger leurs bêtes à leur fantaisie à des prix qu'ils imposaient et avec des mesures assez vagues, toujours établies à leur avantage, ils ne s'accommodèrent que très difficilement de la règle que les directeurs de compagnie voulurent leur imposer en fixant les mesures, les tarifs, en prenant des garanties contre les mélanges de charbon que les conducteurs effectuaient frauduleusement. Il y eut bagarres, requêtes. De Flesselles, intendant, fut même obligé en 1782 d'astreindre les conducteurs à un règlement sévère d'inscription, de déclaration de domicile. Ils devaient porter une plaque ovale de fer blanc délivrée à leurs frais, où leur numéro administratif se détachait sur fond noir. Les peines qu'ils encouraient étaient la prison, la confiscation de leurs mulets, du charbon et une contravention de 500 livres. «L'arrêt de Flesselles enfin détruisait les tentatives de privilège que les muletiers voulaient établir à leur profit et autorisait tout particulier, bourgeois et autres, à charger en ordre à l’entrée de la mine. »

«Parfois aussi, c'était avec les bateliers qu'ils entraient en conflit. Ils accaparaient tout le charbon à la mine, même s'unissaient ensemble, formant un espèce de syndicat et, au port d'embarquement, revendaient le charbon très cher aux bateliers. » Le cas se produisit à l'ouverture du canal de Givors.
Ainsi le charbon de terre s'entassait journellement dans les dépôts près du Grand Port séparé du bourg par des prés appartenant aux riches propriétaires de l'époque. Des maisons se construisaient. Toutefois Givors gardait encore son aspect traditionnel. Ce n'étaient pas les fours à chaux élevés près de la saulée du port, ni les poteries et tuileries construites au bord du chemin de Bans qui pouvaient modifier profondément son caractère agricole.

Valée du Gier - La route

SICELANDES ET MARGOULINS.

Grands étaient les besoins en charbon des industries à Lyon. D'autre part, les grandes exploitations avaient rationalisé l'extraction de la houille et augmenté le rendement des puits. François Zacharie, ancien maître horloger, devenu marchand en gros de quincaillerie à Lyon allait acheter, à Saint-Etienne, des outils pour son commerce et avait vu cette multitude de mulets chargés qui circulaient au fond de la vallée du Gier, à destination de Givors. Il eut l'idée de réaliser un nouveau « Canal des deux-mers », c'est-à-dire une liaison entre le Rhône et la Loire, pour résoudre le problème d'un transport plus économique et plus rapide. Il avait trente-six ans, était d'ailleurs intelligent et volontaire, entrevoyait le succès et espérait la fortune.
Dès 1745, François Zacharie fit faire des études, lever des plans en secret, n'hésitant pas à engager 150.000 francs de dépenses pendant douze ans, à voyager, à faire des démarches à Paris, et à donner peut-être quelques gratifications à des personnages influents.

Le Canal envahi par la végétation - Commune de Tartaras

Examinée avec lenteur par les différents services, la proposition d'unir les deux fleuves par un canal de 56 kilomètres partant de Givors, passant par Saint-Etienne, pour aboutir à Andrézieux, fut acceptée le 28 juillet 1760.
Givors allait-il devenir le port charbonnier du Bassin de Saint-Etienne et non seulement celui de Rive-de-Gier ? Hélas ! il y a loin de la coupe aux lèvres.
La rémunération prévue de un sol par lieue et par quintal (de 49 kilogrammes) permit à François Zacharie de gager ses emprunts. La première souscription de 1768 lui donna la possibilité d'acheter les terrains et de commencer les travaux. Des difficultés sans cesse renaissantes, suscitées par les municipalités intéressées, effrayées de la nouveauté, par les possesseurs de droits seigneuriaux — le droit de pêche du Chapitre de Lyon — par l'exécution même des terrassements, eurent raison de sa santé. Il mourut en 1768 dans une auberge de Givors.
A grand'peine, le canal avait atteint Saint-Romain-en-Gier et les fonds étaient épuisés.
«Le fils n'ignorait rien de l'entreprise commencée par son père. Une nouvelle compagnie fut constituée dans laquelle il ne reçut que vingt actions sur 72 qui composaient le capital. L'apport d'argent frais permit de refaire certains travaux défectueux et de réparer les dégâts importants causés par une crue du Gier. 

Le Canal - Commune de Tartaras

Cinq ans plus tard les difficultés financières étaient telles que seuls de nouveaux avantages concédés par l'Etat, notamment le doublement du tarif initial et la prolongation de la durée de la concession à 99 ans firent trouver l'argent nécessaire pour poursuivre les travaux. » (54)
Après 20 ans d'efforts persévérants de 1760 à 1780, le canal atteignait Rive-de-Gier. Il avait coûté plus de 3.000.000 de francs de l'époque ! Guillaume Zacharie se désista. Une compagnie allait diriger l'exploitation du Canal de Givors qui commença aussitôt. Cailhava était nommé directeur et secrétaire du Conseil d'Administration.
L'arrêt du creusement à Rive- de - Gier limitait les possibilités futures de notre port charbonnier. Certes, le tonnage transporté par les sice- landes (55), conduites par nos « margoulins », croissait d'année en année. Si les prévisions de 1745 n'étaient pas entièrement réalisées puisque la benne de pérat (morceaux) restait taxée à 27 sols, celle de menu, charbon le plus courant, était tombé à 17 sols au lieu de 20 et 32 lorsqu'elle était transportée par mulets.
L'intendant de Lyon n'écrivait-il pas en 1785, à propos d'une demande d'autorisation d'approvisionnement de la ville : « Les ateliers des manufactures et la plupart des foyers domestiques de Lyon n'emploient que du charbon de terre. La consommation qui n'était, il y a quelques années, que de 60.000 mesures s'élève aujourd'hui à plus de 600.000. Il importe d'assurer le succès de cette révolution par l'abondance de ce combustible fossile. »

Le Canal - Commune de Tartaras

Dans la vaste étendue triangulaire limitée par le Gier, le Rhône et le Garon, uniquement réservée aux travaux agricoles, naissait un quartier nouveau appelé, avec juste raison le Canal. A la jonction de cette nouvelle voie navigable avec le Rhône, le Bassin, tel que nous le connaissons, n'existait pas encore. Néanmoins les barques délaissaient les entrepôts et les magasins abandonnés du Grand Port vers Merdary pour s'approvisionner plus commodément à ceux construits près de ce nouveau port surgi en bordure de la plaine fertile. Mais les maisons ne seront pas encore très nombreuses en 1808, si nous en croyons le plan cadastral.

L'autoroute A47 a remplacé le Canal.

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